Adieu à la Petite Ceinture

Article du 4 août 1934 sur la fin du service urbain de voyageurs

Article paru dans l’hebdomadaire « Miroir du Monde », numéro 231, pages 130-131, du 4 août 1934.


Illustration de l’article de l’hebdomadaire Miroir du Monde sur la fin du service voyageurs sur la Petite Ceinture, durant l’été 1934.

Le bruit courait que le chemin de fer de la Petite Ceinture allait disparaître. Rumeur fondée ; une signature en as d’une décision du Conseil Municipal et ces trains, chers aux vieux Parisiens, ont vécu…
Voilà pourquoi je me suis payé un billet de vingt-cinq sous à la gare de Courcelles-Ceinture afin de partir pour un grand, grand voyage… Un des derniers, hélas !
La gare a un aspect paisible et provincial qui étonne. On ne s’attend pas à voir, par-dessus le déblai, la perspective nette de beaux immeubles modernes. Le quai rappelle une vague station de sous-préfecture. Peu de monde, à part trois ou quatre employés de chemin de fer qui font la causette ; l’un porte sous le bras un drapeau rouge ; un autre balance à la main une lanterne de cuivre bien astiquée.
Au bout d’une rame de wagons, halète une locomotive poussive. Elle doit dater de 70.
« - En voiture ! » Cri poussé gentiment, plus paternel qu’impératif. On attend les retardataires.

C’est une brave ménagère qui dévale en trombe l’escalier de bois. Une portière claque…

Le départ n’a rien de touchant. Le train s’en va lentement, même pas retenu par les amarres des poignées de mains. Décidément, la Ceinture n’est pas une grande ligne. Pas de mouchoirs agités jusqu’à la courbe de la voie. Petite vitesse – comme les colis. Allure de « père peinard »…. Tant mieux : on pourra contempler le paysage à son aise.
Dans mon compartiment, il y a un vieux monsieur qui fume la pipe, béatement, les pieds posés sur la banquette. Apparence de petit rentier.

Conversation :

-* Ils ne m’emballent pas, ces trains… »

Regard de reproche et ton sec :

-* Mais il sont bien commodes…Voilà plus de quarante ans que je les prends…
-* Depuis leur création, alors ?
-* Non, bien après, la Ceinture date de 1867.

La ligne suit les anciennes fortifications. Par endroit apparaissent des tronçons de fortifs, en bas desquelles des grues spasmodiques dressent leurs carcasses d’animaux préhistoriques, et des bastions militaires en démolition.

De temps en temps, le train s’arrête. On crie les gares aux jolis noms d’anciens villages : La Chapelle, La Villette, Ménilmontant… Oh ! La pittoresque gare avec sa passerelle aérienne et la toile de fond de ses maisons étagées en acropole. ..

Un couple d’amoureux vient de monter. Il paraît contrarié de trouver des voyageurs. Il comptait être tranquille durant le trajet et roucouler à son aise.

Un tunnel. À la sortie, je remarque deux lèvres pourpres sur la joue du jeune homme. La Ceinture est la providence des tourtereaux en mal de baisers.

Un virage en remblai, d’où l’on découvre le Sacré-Cœur embrasé par le soleil qui décline lentement au-dessus de Levallois ou de Neuilly…

À la gare de Vincennes, je change de compartiment. Il faut laisser la jeunesse à ses jeux.

Je suis seul. Je regarde le film du paysage. À gauche, entrecoupée de hautes constructions modernes, la zone de Montreuil ! masures aux toits de tôle ondulée, roulottes de romanis sédentaires, bouquets d’arbres maigrichons et terrains vagues bordés de planches.

On enjambe la Seine sur le pont de Bercy. Les quais ont l’air d’étagères à tonneaux. Juchés sur des tas de cailloux, des pêcheurs à la ligne, stoïques, concentrent leur attention sur un bout de bouchon qui tangue. Ils maudissent le roulement de tonnerre du train qui risque d’effrayer les poissons.
Après, entre le remblai et les mornes boulevards de la périphérie, des jardinets plantés de choux rabougris. Une usine à gaz ; de longues cheminées.

Arrêt. On annonce : « Montsouris, Montsouris ! »

La portière de mon compartiment s’ouvre. Une dame élégante s’installe dans un angle. C’est la première femme seule – et jolie – que je voie monter depuis le départ. En cours de route, le train a ramassé quelques terrassiers ou gars du bâtiment. C’est tout.

- C’est commode, cette ligne !

À ces paroles, la voyageuse parfumée a sorti son fin minois de derrière son journal. Elle m’a longuement dévisagé avant de répondre :

-* Très commode ; je prends tous les jours le train de quatre heures pour aller à Auteuil chercher ma fille à la sortie du cours L… Il y a plus d’air que dans le métro et ça coûte très bon marché lorsqu’on a un abonnement…

Grenelle déroule ses murs noircis de fumée. Et revoici la Seine que l’on franchit sur le viaduc d’Auteuil. Les lumières de la ville commencent de s’allumer ; la Tour Eiffel, au ventre tatoué d’aiguilles phosphorescentes, rappelle, selon le mot du poète, une « bergère de nuages »…

-* Savez vous, Madame, que je prends ce train pour la première fois ?
-* Ah !... Et ce voyage vous plaît ?
-* Comme un kaléidoscope magique… Des maisons sordides de Belleville aux riches buildings du boulevard Exelmans… Le linge multicolore qui sèche aux fenêtres et les terrasses garnies de tennis grillagés. Paris en raccourci en une séance permanente d’une heure trois quarts…
-* Vous considérez votre voyage comme un documentaire ?
-* Exactement. Vous voyez, ce n’est pas la peine de faire le tour du monde pour avoir des impressions neuves… La Ceinture de Paris m’a suffi.
-* Vous êtes facile à contenter.

…Stop. Auteuil, terminus. Tout le monde descend...

Nous avons fait un beau voyage : Et d’autant plus séduisant qu’en vingt-cinq ans le seul accident survenu sur ce réseau favorisé des dieux a été un tamponnement sous le tunnel de Charonne…

Jean Bazal.

Par Petite Ceinture Info le 27 février 2011


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