D’inédites vues de locomotives en tête des trains de voyageurs de la Petite Ceinture
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D’inédites vues de locomotives en tête des trains de voyageurs de la Petite Ceinture
La découverte de vues inédites des trains de voyageurs de la Petite Ceinture permet de confirmer des données indiquées dans les textes historiques. C’est le cas par exemple des locomotives employées. Voici deux exemples qui viennent compléter les puzzles respectifs de l’histoire du service circulaire et de la vie quotidienne à Paris durant la Belle Époque.
Concernant le service de voyageurs de la Petite Ceinture, la consultation des sources historiques, comme les archives des compagnies de chemin de fer, les articles et les photographies d’époque, ressemble à une enquête policière, où le texte et l’image constituent des indices qu’il faut réussir à rapprocher afin de saisir la réalité des choses. Sur une photographie, la présence d’un élément peut rester inexpliquée jusqu’à la découverte d’un texte décrivant sa raison d’être. À l’inverse, un texte peut faire référence à un sujet qui reste asbtrait tant qu’une photographie ne le dévoile pas à nos yeux.
Ces dernières années, des sources que j’ai consultées, afin de préparer des articles sur des locomotives à vapeur tractant le service des trains de voyageurs de la Petite Ceinture, publiés dans les revues Rails d’Autrefois et Histoire Ferroviaire, citent l’emploi temporaire pour ce service, durant la Belle Époque, de deux modèles de locomotives utilisées habituellement par d’autres services : les 040 T Ceinture, machines employées habituellement à la traction des trains de marchandises sur la ligne, et les 222 T de la Compagnie du Nord, employées pour la traction des trains de grande banlieue de la gare de Paris-Nord vers Persan-Beaumont, Creil, Pontoise, etc.. Mais jusqu’à présent, aucune vue publiée dans la littérature ne permettait de voir ces machines circulant sur la Petite Ceinture en tête de trains circulaires. Des photographies, trouvées récemment, mettent fin à ce mystère. Découvrons-les ensemble.
Une locomotive 040 T Ceinture en 1898 boulevard Pereire
En 1898, le Chemin de fer de Ceinture nomme une « Commission […] chargée de déterminer les locomotives et les voitures de 1re classe à construire pour le service de l’Exposition de 1900 ». Cette commission, qui réunit les ingénieurs en chef du Matériel de la Traction des compagnies de l’Ouest (M. Clérault), du Nord (M. Du Bousquet) et de l’Est (M. Salomon), témoigne des échanges techniques entretenus par ces compagnies avant la Première Guerre mondiale. L’étude qui alimente les travaux de cette Commission, intitulée « Observations concernant la question des commandes de matériel en vue de l’Exposition », évoque le fait que le Chemin de fer de Ceinture emploie pour la traction des trains de voyageurs supplémentaires les dimanches et fêtes ses locomotives à vapeur de type 040 T. Ces locomotives furent mises en service dans les années 1870 afin d’assurer la traction des trains de marchandises sur la Petite Ceinture, comme nous le décrivons dans cet article.
Toutefois, il s’avère que ces machines adhérence totale ne sont pas faites pour un service de voyageurs. Le diamètre de leurs roues, 1,20 m, est trop faible pour leur permettre d’atteindre la vitesse de pointe des trains de ce service. [1]
La vue inédite suivante montre la locomotive n°12 de cette série tractant un train circulaire au fond de la tranchée du boulevard Pereire, dans le 17e arrondissement.
Le train passe sous le pont de la rue Guersant et se dirige vers la porte Maillot. Autrement dit, il vient de quitter la station de Courcelles-Levallois (aujourd’hui Pereire-Levallois) située place Pereire. Sur la droite est visible une partie de la façade des écoles du 211 boulevard Pereire. Cette vue, prise en mars-avril 1898, montre également les premiers travaux de mise à quatre voies de la tranchée. La végétation des talus a été coupée et les câbles de commande de la signalisation mécanique fixés temporairement sur des potences métalliques, afin de rendre accessible les talus qui seront arasés pour la construction de murs verticaux de soutènement au droit des grilles.
Cette mise à quatre voies est réalisée dans le cadre de la construction de la ligne de Courcelles au Champ-de-Mars, aujourd’hui intégrée au RER C, afin de permettre notamment la desserte de l’Exposition universelle au Champ-de-Mars depuis la gare Saint-Lazare et la Petite Ceinture Rive Droite. Lire cet article pour plus de détails sur cette ligne.
L’importance du panache de fumée émis par la locomotive témoigne de l’intensité de ses efforts pour respecter la vitesse commerciale des trains circulaires.
Derrière la locomotive figurent un fourgon à bagages, une voiture de 1re classe à trois compartiments, puis cinq voitures et une voiture-fourgon de 2e classe, du type 1896. La présence de ce modèle de locomotive, comme vu précédemment, indique qu’il s’agit d’un train supplémentaire mis en service les dimanches et fêtes sur la Petite Ceinture, comme le Lundi de Pâques, afin de permettre aux Parisiens d’aller notamment assister aux courses de chevaux à Auteuil et à Longchamp. Sans doute que le photographe a profité de ce moment de repos pour saisir un morceau de la vie quotidienne parisienne depuis le pont de l’avenue des Ternes.
Un gros plan sur la machine permet de découvrir son numéro, peint sur l’extrémité de chacune des caisses à eau. Une plaque portant la mention « circulaire » est accrochée sur la porte de la boîte à fumée. Des briquettes de coke, un charbon transformé afin d’émettre moins de fumée lors de sa combustion, dont l’usage est imposé par le Ministère des Travaux Publics en 1896 sur les trains de voyageurs de la Petite Ceinture et de la ligne d’Auteuil, sont stockées sur la caisse à eau et la chaudière, devant le poste de travail du chauffeur de la locomotive.
L’utilisation de ces machines pour la traction des trains de voyageurs cessa probablement en 1900 avec la mise en service des locomotives 030 T Ceinture (lire cet article pour plus de renseignements sur ces locomotives) pour la desserte de l’Exposition universelle au Champ-de-Mars (lire cet article pour plus de renseignements sur cette desserte).
Une locomotive 222 T Nord en 1902 sur le viaduc du Point-du-Jour
La Compagnie de l’Ouest retire ses locomotives en trois étapes de la traction des trains de voyageurs de la Petite Ceinture, les 1er avril 1901, 1902 et 1903. Les quinze locomotives 030 T Ceinture mises en service pour l’Exposition universelle de 1900 suffisent pour en remplacer le premier tiers le 1er avril 1901. Mais leur nombre s’avère insuffisant pour remplacer le 2e tiers le 1er avril 1902. Les locomotives 230 T Ceinture, dont la construction est décidée pour remplacer le reste des locomotives Ouest, ne sont livrées qu’entre juin 1902 et janvier 1903 (lire cet article pour plus de renseignements sur ces deux modèles de locomotives).
Par conséquent, durant cette dernière période, des locomotives 222 T de la série 2.231-2.305 dites « Revolver » de la Compagnie du Nord sont utilisées en renfort, comme le signale un article de la Revue Générale des Chemins de fer paru en mai 1904 [2] et un article de la revue La Science Illustrée lisible sur cette page. Voici la vue de l’une de ces locomotives franchissant la Seine en tête d’un train circulaire.
La comparaison de la silhouette de la locomotive avec un diagramme permet de conclure avec certitude qu’il s’agit de ce modèle.
Derrière la locomotive figurent une voiture-fourgon et quatre voitures de 2e classe du type 1896, puis une voiture de 1re classe du type 1899 et un fourgon à bagages. Lire cet article pour découvrir en détails le matériel remorqué des trains de voyageurs de la petite Ceinture.
Voici une autre vue de ces machines prise à la même époque dans le 12e arrondissement, depuis le pont de rue de Charenton.
[1] Compagnie du Chemin de fer du Nord, Procès-verbal de la réunion des Ingénieurs en Chef du Matériel et de la Traction chargés par le Comité de Ceinture de déterminer les types des locomotives et voitures de Ier classe à construire pour la Petite Ceinture, 25 novembre 1898, Archives Nationales du Monde du Travail de Roubaix, série 202 AQ.
[2] M.J. Koechlin. Les locomotives 51-65 du Chemin de fer de Petite Ceinture de Paris, Revue Générale des Chemins de Fer, mai 1904, pages 334-350 et planches X-XIII