Le Train Métropolitain de la Compagnie du Nord
La Petite Ceinture et le Métro (3/5)
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Le Train Métropolitain de la Compagnie du Nord
Face au rejet unanime de la part de l’opinion publique des émissions de vapeur d’échappement et de fumées dans les sections souterraines, la Compagnie du Nord est obligée de présenter une locomotive qui n’en émet pas si elle souhaite que le projet de chemin de fer métropolitain de 1890, auquel elle participe, puisse aboutir. Elle construit à cette fin des locomotives et des voitures spécialement conçues pour le projet. Dans les inventaires de son matériel roulant, elle nomme le train ainsi constitué le Train Métropolitain.
L’épineuse question des fumées
La question des fumées émises par les locomotives à vapeur est au centre des débats et conditionne le choix du mode de traction. À titre d’exemple, le quotidien Le Temps, dans son édition du 9 mai 1886, explique pourquoi cette question est si importante : « Déjà sur certains chemins de banlieue elle [NDR : la fumée] ne laisse pas que d’aveugler les voyageurs lorsqu’elle ne les incommode pas dans les souterrains par son odeur désagréable et parfois suffocante. Le même inconvénient subsistera-t-il dans le Métropolitain ? » [1]
Depuis 1863, les lignes métropolitaines exploitées à Londres utilisent des locomotives-tenders équipées d’un système de condensation des fumées et de la vapeur d’échappement. Dans les souterrains, par la manœuvre d’une vanne depuis la cabine de conduite, la vapeur et les fumées sont dirigées vers les caisses à eau pour s’y condenser, au lieu de sortir dans l’atmosphère par la cheminée. C’est ce système qu’adopte la Compagnie d’Orléans en 1895 sur les locomotives qu’elle conçoit pour exploiter le prolongement souterrain reliant la place Denfert-Rochereau au Jardin du Luxembourg.
Mais les sections en tunnel, tant à Londres que sur le prolongement de la ligne de Sceaux, sont plus courtes que celles prévues dans le projet de chemin de fer métropolitain de 1890. Par conséquent, le système de condensation n’a pas encore montré son efficacité dans les conditions de ce projet. Jean-Charles Adolphe Alphand, directeur des Travaux à la Ville de Paris, demande par conséquent lors des enquêtes publiques respectives des lignes transversales et de la ligne circulaire, tenues durant l’été 1890, « que les auteurs du projet renoncent aux locomotives à vapeur ordinaires et fassent la traction du Métropolitain soit par l’électricité, soit par des câbles, ou par des machines se chargeant en dehors des voies, ne produisant ni échappement de vapeurs de condensation, ni fumée. » [2]
Pour approfondir le thème des fumées produites par les locomotives à vapeur, lire le dossier « Tout feu, tout flamme ! » publié en ligne par l’Association pour l’Histoire des Chemins de Fer (AHICF).
Les locomotives du Train Métropolitain
Face à un telle opposition de l’opinion et des pouvoirs publics aux émissions de vapeur d’échappement et de fumées dans les sections souterraines, la Compagnie du Nord est obligée de présenter une locomotive qui n’en émet pas si elle souhaite que le projet de chemin de fer métropolitain de 1890, auquel elle participe, puisse aboutir.
Elle annonce ainsi durant les enquêtes publiques travailler sur une machine à vapeur et à foyer capable de ne pas émettre de gaz durant le parcours des sections souterraines. Dans le cas, qu’elle estime fort improbable, où la machine construite ne donnerait pas les résultats escomptés, elle prévoit d’en limiter l’usage à la traction sur ses deux lignes transversales, qui comprennent les plus courtes sections souterraines du projet, et d’employer pour la traction sur la ligne circulaire de la Compagnie des Établissements Eiffel, soit des machines à eau chaude de Léon Francq, soit des machines électriques. [3]
Voyons à présent ces trois types de locomotive : à eau chaude, à foyer et électrique.
La locomotive à eau chaude de Léon Francq
Pendant les discussions sur le projet de chemin de fer métropolitain de 1886, MM. Deligny et Vauthier, conseillers municipaux, avaient déjà suggéré à la commission parlementaire en charge du projet de loi l’emploi de locomotives à eau chaude pour traiter la question des fumées et des vapeurs d’échappement. [4]
La locomotive à eau chaude, également appelée locomotive sans foyer ou sans feu, repose sur le principe de physique suivant : le point d’ébullition, c’est-à-dire la température correspondant au dégagement de vapeur, croît ou décroît selon que la pression augmente ou diminue sur la surface d’un liquide chauffé. Il résulte de ce principe que dans un vase clos, plus on chauffe le liquide, plus la pression augmente à sa surface. Si cet échauffement est produit par un courant de vapeur, celle-ci chauffe l’eau et remplit l’espace libre au-dessus de la surface du liquide en augmentant progressivement la pression. [5] Ne possédant pas de foyer, ce type de locomotive n’émet pas de fumée. Seule de la vapeur d’eau, qui peut être condensée pour revenir à l’état liquide, est émise.
En 1886, Léon Francq propose une nouvelle version de sa locomotive conçue pour répondre aux conditions d’exploitation du projet de chemin de métropolitain. La vapeur d’échappement est injectée dans des caisses contenant de l’eau froide pour y être condensée. [6]
La locomotive « Métropolitain » de la Compagnie du Nord
Lorsque la Compagnie du Nord lance en août 1890 l’étude d’une nouvelle machine spécialement conçue pour le projet de chemin de fer métropolitain, elle profite du retour d’expériences de l’emploi des locomotives à eau chaude de Léon Francq. Celles-ci ont l’avantage de ne pas émettre de fumée mais manquent d’autonomie. En effet, elles nécessitent le renouvellement régulier du contenu de leur réservoir au moyen de générateurs fixes de vapeur répartis le long du parcours. Elles sont donc difficilement utilisables sur de longues lignes souterraines, ainsi que sur les lignes de banlieue de la gare du Nord. La Compagnie du Nord profite également du retour d’expériences de l’emploi des locomotives munies d’un système de condensation des fumées et de la vapeur d’échappement, utilisées sur le Métropolitain de Londres, qui, s’il permet de réduire les émissions de gaz, ne les supprime malheureusement pas totalement.
Durant les enquêtes publiques de l’été 1890, la Compagnie annonce en fait qu’elle va combiner ces deux modes d’utilisation de la vapeur dans une seule machine. Des locomotives à eau chaude, la machine reprend les principes de la chaudière de forte capacité et à pression élevée, ainsi que le détendeur. Des locomotives à foyer utilisées sur le Métropolitain de Londres, elle reprend l’utilisation d’une vanne dont la manœuvre permet, dans les souterrains, la dérivation de la vapeur d’échappement dans les caisses à eau, afin qu’elle s’y condense au lieu de sortir dans l’atmosphère par la cheminée. Autrement dit, à l’air libre, la machine se comporte comme une locomotive à vapeur classique, émettant fumées et vapeur d’échappement, tandis que dans les souterrains elle se comporte comme une locomotive à eau chaude, n’en émettant plus. En outre, le brûlage du coke à la place de la houille dans le foyer permet de réduire fortement le volume des fumées émises durant la circulation à l’air libre.
Deux machines sont construites par les ateliers de la Compagnie à La Chapelle, à Paris, en 1892 puis en 1893. Elles portent les numéros respectifs 3.121 et 3.122. La Compagnie du Nord procède à des essais avec ces machines dans la foulée de leur mise en service.
La locomotive électrique de la Compagnie du Nord
Au début des années 1890, les premières applications de la traction électrique montrent la pertinence de ce mode de traction pour des lignes urbaines. Par exemple, en 1890, Le City and South London Electric Railway est mis en service à Londres, tandis qu’aux États-Unis, 4 800 kilomètres de lignes de tramways électriques sont déjà exploités en 1892. [7]
Par ailleurs, pendant que sont présentés au public en 1890 le projet de chemin de fer métropolitain de la Compagnie du Nord et de la Compagnie des Établissements Eiffel, l’ingénieur Jean-Baptiste Berlier propose un projet de tramways tubulaires souterrains à traction électrique traversant le centre de Paris d’Est en Ouest.
Par conséquent, afin de répondre à l’intérêt suscité par la traction électrique, la Compagnie du Nord lance en 1890, en parallèle de son étude sur une locomotive à vapeur, une seconde étude portant sur une locomotive électrique à accumulateurs qui ne nécessite pas l’installation de conducteurs de courant le long des voies.
Le matériel remorqué du Train Métropolitain
Afin de réaliser des essais avec ses locomotives à vapeur et électrique, la Compagnie du Nord construit un train complet qu’elle nomme le Train Métropolitain dans les états de son matériel remorqué.
Elle adapte pour ces voitures le type de construction qu’elle utilise depuis 1889 pour ses trains-tramways. Le choix de ce type de matériel pour le Train Métropolitain est motivé par le fait qu’elle souhaite faire circuler sur le réseau métropolitain les trains-tramways circulant déjà depuis 1888 sur les lignes de Paris à Saint-Denis et Paris à Saint-Ouen. [8]
La poignée des portières est située à droite, et non à gauche selon le sens d’ouverture standard, afin de faciliter la fermeture des portières lors des démarrages. Cette disposition, déjà utilisée sur les lignes métropolitaines de Londres, sera reprise à partir de 1896 sur les nouvelles voitures des trains de la Petite Ceinture.
Les deux fourgons à bagages du Train Métropolitain sont des reconstructions de fourgons existants. Ils inspirent en 1898 une série de trente-six fourgons du même type affectés aux trains de la Compagnie du Nord circulant sur la Petite Ceinture jusqu’à la fin de ce service en 1908.
Jusqu’en 1892 le projet de chemin de fer métropolitain de 1890 avance, mais un scandale dans lequel est impliqué Gustave Eiffel le remet en cause. Ce scandale et ses conséquences sont à découvrir dans le prochain épisode..
Aller plus loin
- Prochain épisode : le projet de 1894 et la desserte de l’Exposition de 1900.
- Épisode précédent : les projets gouvernementaux de 1886 et 1890.
- Cet article est un extrait de celui publié dans le numéro 4 de la revue Histoire Ferroviaire en décembre 2024, et consacré au Train Métropolitain de la Compagnie du Nord. Cliquer ici pour découvrir cette revue.
[1] De la traction du Métropolitain, Le Temps, édition du 9 mai 1886, page 3.
[2] Alphand Adolphe, Le Métropolitain, supplément au journal Le Temps du 24 octobre 1890, page 1.
[3] Le Chemin de fer métropolitain de Paris – Rapport de la Commission d’enquête sur les lignes de pénétration dans Paris demandées par la Compagnie du Nord, Le Génie Civil, n° 25, tome XVII, 18 octobre 1890, pages 394-395.
[4] Le Temps, édition du 9 mai 1886, page 3.
[5] Lavollay L., Locomotive sans foyer système Francq, L’Élève-ingénieur : journal hebdomadaire des élèves de l’Institut industriel du Nord de la France, 1re année, n°4, 11 novembre 1894, pages 25-26.
[6] Demoulin Maurice, Traction à vapeur sans feu, système système Francq et Lamm B.S.D.G pour le Métropolitain de Paris, Portefeuille économique des machines, de l’outillage et du matériel, n° 368 du 1er août 1886, pages 129-136 et planches 31-32.
[7] Causerie scientifique, Le Temps, édition du 13 septembre 1892, page 1.
[8] Le train-tramway de Paris à Saint-Denis, Le Petit Parisien, édition du 3 juillet 1888, page 2.
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