Les projets gouvernementaux de 1886 et 1890
La Petite Ceinture et le Métro (2/5)
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Les projets gouvernementaux de 1886 et 1890
Au début des années 1880, un conflit émerge, entre la Ville de Paris et le Gouvernement, sur la nature du chemin de fer métropolitain et sur l’attribution de la responsabilité de sa construction. Suite à l’avis donné par le Conseil d’État en faveur du Gouvernement, celui-ci présente un premier projet en 1886, qui échoue en 1887. Le Gouvernement réunit dès 1889 des partenaires privés pour monter un deuxième projet, qui est présenté au public en 1890. Pendant ce temps, les derniers passages à niveau de la Petite Ceinture sont supprimés pour l’Exposition universelle de 1889, puis la construction de la section de l’actuelle ligne du RER B entre la place Denfert-Rochereau et le Jardin du Luxembourg est décidée.
Le conflit sur la nature du chemin de fer métropolitain
Peu de temps après l’échec du projet départemental des années 1870, la loi du 11 juin 1880, relative aux chemins de fer d’intérêt local et aux tramways, permet à la Ville de Paris, et non plus seulement au département de la Seine, d’établir sur son territoire ces nouveaux moyens de transport.
Un conflit émerge alors entre la Ville de Paris et le Gouvernement sur la nature du chemin de fer métropolitain et sur le choix de l’autorité qui va diriger sa construction. Le Gouvernement défend l’idée d’un chemin de fer métropolitain d’intérêt général, relié aux voies ferrées existantes (gares terminus et Petite Ceinture). De son côté, la Ville pourrait, en vertu de la loi du 11 juin 1880, construire un chemin de fer métropolitain autonome, c’est à dire non connecté aux lignes existantes. La position gouvernementale est confortée par l’avis du Conseil d’État du 31 janvier 1884. [1] Dès lors, une période d’une dizaine d’années s’ouvre, pendant laquelle le Gouvernement se préoccupe de diriger la construction du Métropolitain. Trois projets successifs sont ainsi débattus, présentés respectivement en 1886, 1890 et 1894, qui tous échouent. Voici leurs caractéristiques et les raisons de leur échec.
Le projet de 1886
Le premier projet gouvernemental est présenté en 1886, avec comme objectif la desserte de l’Exposition universelle de 1889 au Champ-de-Mars et au Trocadéro.
Ce chemin de fer métropolitain est connecté aux voies des gares terminus parisiennes et à la Petite Ceinture. Il est prévu que l’État construise le réseau et en concède l’exploitation, comme ce fut le cas pour la Petite Ceinture Rive Droite. Le tracé de ce projet comprend trois lignes :
- Une ligne souterraine nord-sud reliant les gares du Nord et de l’Est à la ligne de Sceaux à la place Denfert-Rochereau. Cette ligne passe près des Halles centrales et reprend le tracé du projet des années 1850,
- Une ligne reliant la gare du Nord à la gare Saint-Lazare en passant par le quartier de l’Opéra,
- Enfin, une ligne circulaire intérieure dont le tracé emprunte en grande partie l’ancienne enceinte des Fermiers Généraux (tracé repris aujourd’hui en partie par les lignes 2 et 6 du Métro).
Mais en 1887, le projet est rejeté à l’Assemblée Nationale, car la majorité des députés, considérant que le projet ne correspond qu’à des intérêts purement locaux, malgré la connexion du réseau métropolitain projeté au réseau ferré national, refusent de financer sa construction ainsi que la garantie d’intérêt de l’État à l’exploitant. [2] [3] [4]
La suppression des passages à niveau sur la Petite Ceinture
Cependant, l’échec du projet ne signifie pas l’arrêt du développement des chemins de fer dans Paris. En effet, alors que les débats ont lieu, une loi est votée le 16 août 1886 afin de supprimer les derniers passages à niveau et reconstruire des stations de voyageurs sur la Petite Ceinture Rive Droite, dans les 17e, 18e, 20e et 12e arrondissements. Ces travaux visent à augmenter le nombre de trains de voyageurs sur la Petite Ceinture pendant l’Exposition universelle de 1889. [5]
Une fois ces travaux réalisés, la totalité de la boucle ferroviaire présente désormais le visage d’un chemin de fer urbain, c’est-à-dire dispose d’une plate-forme située rarement au niveau de la voirie environnante. Cett es situation nouvelle permet à Jean-Charles Adolphe Alphand, Directeur des Travaux à Paris, de qualifier en 1890 la Petite Ceinture de « premier circuit de métropolitain tracé à peu de distance des fortifications ». [6]
L’architecture de la station de l’Avenue de Saint-Ouen, dans le 18e arrondissement, reconstruite à l’occasion de ces travaux, témoigne de la conception d’une station urbaine de chemin de fer à la fin du XIXe siècle. Cliquer ici pour découvrir le détail de l’architecture de cette station.
Le projet de 1890
Sans attendre la fin de l’Exposition universelle, le Gouvernement relance les négociations sur le projet de chemin de fer métropolitain en 1889. Afin d’éviter que le nouveau projet ne soit comme le précédent rejeté à l’Assemblée Nationale, il fait appel à des sociétés privées pour la construction et l’exploitation des lignes, et n’attribue ni subvention, ni garantie d’intérêt à ces sociétés.
Le tracé comprend deux lignes transversales, également dites de pénétration, reliant la gare du Nord aux Halles centrales pour l’une et au quartier de l’Opéra pour l’autre, et une ligne circulaire tracée presque entièrement sur la rive droite de la Seine, sur les grands boulevards et la rue de Rivoli. Des connexions entre ces lignes transversales et cette ligne circulaire sont prévues. Ce projet de chemin de fer métropolitain, comme le souligne Jean-Charles Adolphe Alphand, intègre la ligne circulaire formée par la Petite Ceinture et la ligne d’Auteuil. [6] Plus tard, une troisième ligne circulaire tracée en grande partie sur l’enceinte des Fermiers Généraux, colorée en vert sur le plan du projet, serait réalisée afin de compléter les deux précédentes.
La concession des deux lignes transversales est demandée par la Compagnie du Nord, tandis que celle de la ligne circulaire l’est par la Compagnie des établissements Eiffel, dirigée par Gustave Eiffel. Les deux entreprises conviennent que la Compagnie du Nord fournisse le matériel roulant et le personnel nécessaires à l’exploitation de l’ensemble des lignes.
Deux enquêtes publiques sont organisées du 15 juillet au 16 août 1890, l’une présentant les deux lignes transversales, l’autre la ligne circulaire. [7] Le 24 septembre 1890, les deux parties sont adoptées par la Commission de l’enquête publique. [8]
Les lignes transversales, d’une longueur totale de 4,7 kilomètres, sont intégralement souterraines. La ligne circulaire, longue de onze kilomètres, comporte sept kilomètres en souterrain et les quatre autres à l’air libre, soit en viaduc, soit en tranchée. Elle est munie d’une gare centrale située place de la Madeleine.
La ligne des Halles est longue de 2 590 m et comporte sept stations en dehors de la gare du Nord, tandis que la ligne du boulevard des Capucines est longue de 2 100 m et comporte cinq stations. Elles desservent toutes les deux une station souterraine à construire sous la gare du Nord et descendent vers le sud sous le boulevard de Denain. À la hauteur du carrefour du boulevard de Magenta et de la rue La Fayette, elles bifurquent.
Aux Halles, la station des voyageurs est située à l’extrémité sud de cette rue, devant l’église Sainte Eustache, tandis qu’une gare aux marchandises, destinée à desservir les sous-sols des Halles centrales, est prévue sous l’actuelle allée André Breton, en direction du Pont Neuf.
La ligne des Capucines descend la rue La Fayette vers le sud-ouest jusqu’au boulevard Haussmann, puis contourne l’Opéra par la rue Halévy, la place de l’Opéra et le boulevard des Capucines.
Le projet prévoit également de raccorder la ligne des Halles à la gare de l’Est et la ligne des Capucines à la gare Saint-Lazare. [9]
Pour ce projet de chemin de fer métropolitain, la Compagnie du Nord ne tient pas à se limiter à l’exploitation de trains purement parisiens. Elle souhaite également prolonger le parcours de ses trains de banlieue de la gare du Nord vers le centre de Paris.
Entre l’Opéra et les Halles, l’espacement prévu des trains est de dix à douze minutes. Entre les Halles et la gare du Nord, il est également de dix à douze minutes. Soit au total, un espacement des trains sur la ligne des Halles de cinq à six minutes.
Dans les intervalles laissés libres, ou à la place de certains de ces trains, la Compagnie envisage de prolonger les trains-tramways circulant déjà entre la gare du Nord d’une part, Saint-Denis et Saint-Ouen d’autre part. Ces trains-tramways sont composés de deux tranches, l’une à destination des Halles, l’autre de l’Opéra.
Enfin, dans les derniers intervalles, particulièrement le matin, le midi et le soir, des trains de banlieue, composés eux-aussi de deux tranches, sont prolongés vers les Halles et l’Opéra.
La desserte en marchandises des Halles centrales est réalisée de nuit ou tôt le matin, pendant les heures de suspension du service des voyageurs. Les wagons devraient être triés et regroupés en fonction des pavillons destinataires, soit à la gare de La Chapelle, soit sur la Petite Ceinture, avant de pouvoir circuler sur la ligne des Halles, l’espace étant insuffisant sur cette dernière pour le faire. [10]
Les deux lignes transversales s’amorcent sur la Petite Ceinture au moyen d’un double raccordement avec celle-ci, situé à la hauteur de la station La Chapelle-Saint Denis et déjà envisagé dans le projet de 1886. [11]
Le prolongement de la ligne de Sceaux
Afin de préparer la construction ultérieure de tronçons du chemin de fer métropolitain sur la rive gauche de la Seine, des discussions autour de deux prolongements de lignes existantes sont entamées en 1889.
Le premier prolongement concerne le déplacement à l’esplanade des Invalides du terminus de la ligne de Paris-Saint-Lazare au Champ-de-Mars, dite Ligne des Moulineaux, mise en service pour desservir l’Exposition universelle de 1889. Ce projet sera réalisé pour l’Exposition universelle de 1900.
Le second prolongement est compris entre la place Denfert-Rochereau et la station Luxembourg de l’actuel RER B. Il est déclaré d’utilité publique le 14 décembre 1889 puis mis en service le 1er avril 1895.
[12] [13]
Les techniques de construction utilisées pour ce prolongement sont similaires à celles prévues pour les lignes de la rive droite du projet de chemin de fer métropolitain. Le quotidien Le Matin n’hésite d’ailleurs pas à qualifier l’ouverture de cette section de « commencement de métropolitain ». Le projet de 1890 prévoit à terme de prolonger la ligne de Sceaux jusqu’aux Halles centrales, afin qu’elle y soit en correspondance avec les services de la rive droite.
Le quotidien Le Matin présente également les solutions employées par la Compagnie d’Orléans pour traiter la question des fumées et des vapeurs d’échappement sur ce prolongement souterrain : « Le renouvellement de la colonne d’air se fait par dix cheminées d’aérage, aboutissant à de petits kiosques placés sur les trottoirs des voies publiques. La ligne est en outre exploitée par des locomotives munies d’appareils de condensation suffisants pour éviter tout échappement de la vapeur dans les sections souterraines. Enfin, un puissant ventilateur est installé dans les caves de la station terminus. » [14]
Ce soin apporté à la ventilation répond au rejet par l’opinion publique des gaz émis par les locomotives à vapeur. Face à cette opposition, la Compagnie du Nord construit pour le projet de chemin de fer métropolitain de 1890 un modèle spécial de locomotive à vapeur capable de supprimer la production de gaz durant le parcours des sections souterraines. Ce modèle de locomotives est à découvrir dans le prochain épisode.
Aller plus loin
- Prochain épisode : le Train Métropolitain de la Compagnie du Nord.
- Épisode précédent : l’émergence du projet de chemin de fer métropolitain.
- Cet article est un extrait de celui publié dans le numéro 4 de la revue Histoire Ferroviaire en décembre 2024, et consacré au Train Métropolitain de la Compagnie du Nord. Cliquer ici pour découvrir cette revue.
[1] Berton Claude, Ossadozow Alexandre, Fulgence Bienvenüe et la construction du Métropolitain de Paris, Presses de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, 2006.
[2] Le Temps, édition du 21 juillet 1887, page 4.
[3] Le Temps, édition du 22 juillet 1887, page 3.
[4] Le Temps, édition du 23 juillet 1887, page 1.
[5] Carrière Bruno, La Saga de la Petite Ceinture, page 89, 2001.
[6] Alphand Jean-Charles, Le Chemin de fer Métropolitain de Paris, Le Génie Civil, 25 octobre 1890, pages 409-414.
[7] Le Temps, édition du 18 juillet 1890, page 3.
[8] Le Temps, édition du 24 septembre 1890, page 2.
[9] Le Chemin de fer métropolitain de Paris – Rapport de la Commission d’enquête sur les lignes de pénétration dans Paris demandées par la Compagnie du Nord, Le Génie Civil, n° 25, tome XVII, 18 octobre 1890, pages 392-395.
[10] Le Chemin de fer métropolitain de Paris – Rapport de la Commission d’enquête sur les lignes de pénétration dans Paris demandées par la Compagnie du Nord, Le Génie Civil, n° 25, tome XVII, 18 octobre 1890, pages 392-395.
[11] Le Temps, édition du 28 juin 1889, page 1.
[12] N° 21632 - Décret qui déclare d’utilité publique les travaux à exécuter pour le prolongement, dans l’intérieur de Paris, du chemin de fer de Paris à Sceaux et à Limours jusqu’aux abords du carrefour Médicis : 14 décembre 1889 », Bulletin des lois de la République française, Paris, Imprimerie nationale, xII, vol. 39, no 1298, 1889, p. 1346 – 1347.
[13] Le Matin, édition du 1er avril 1895, page 3.
[14] Sous le Boul’Mich, Le Matin, édition du 31 mars 1895, page 1.
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