Description de la Petite Ceinture Rive Gauche

Le Monde Illustré, 1867


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La Petite Ceinture Rive Gauche fut mise en service le 25 février 1867 pour le transport des voyageurs et des marchandises. L’article que nous vous présentons, signé par Léo De Bernard, parut dans les pages 154 et 155 du numéro 517, daté du 9 mars 1867, de l’hebdomadaire « Le Monde Illustré ». Il insiste notamment sur les difficultés rencontrées lors de la construction de cette section de la Petite Ceinture et dues à la présence d’anciennes carrières. Ils présentent également les nombreux ouvrages d’art, qui font que cette section ressemble à certains endroits à une ligne de montagne.

Les illustrations sont également extraites de ce numéro.


 CHEMIN DE FER DE CEINTURE

Le Monde Illustré a rendu compte dans son numéro du 14 octobre 1865 des travaux entrepris à Auteuil pour la construction du chemin de fer de Ceinture et notam­ment des viaducs d’Auteuil, du Point-du-Jour et de Javel. La totalité du chemin de fer ayant été livrée au public le 24 février 1867, voici les principaux détails relatifs au reste de cette voie entre Vaugirard et Bercy.

Après avoir quitté la gare d’Auteuil on traverse sur les viaducs qui viennent d’être nommés la vallée de la Seine, à 21 mètres au-dessus du niveau de l’étiage, et après avoir joui du panorama, à droite de Saint-Cloud et Suresnes, à gauche de tout Paris, on arrive à la station du Point-du-Jour, établie dans le corps même du viaduc, puis à celle de Grenelle d’où se détache l’embranche­ment provisoire qui conduit jusqu’au Palais de l’Exposi­tion universelle. Cet embranchement construit sur les rem­blais provenant en grande partie des chantiers du Trocadéro est destiné plus tard à être supprimé, et les terres qui en constituent la plate-forme serviront presque à pied d’œuvre à élargir et à améliorer le quai.

De la gare de Grenelle on arrive à celle de Vaugirard, puis après avoir traversé un souterrain de 300 mètres de longueur, fondé à une profondeur considérable dans les catacombes, à celle de l’Ouest-Ceinture, qui permet la correspondance entre le chemin de fer de Ceinture et la gare de Mont-Parnasse. De cette dernière station à celle de Montrouge, le chemin se trouve tout en tranchée de 10 mètres en moyenne, dont les parois sont revêtues en maçonnerie parementée en mosaïque. On arrive au bâtiment des voyageurs, établi sur un petit tunnel creusé au-dessous de la route par deux escaliers en pierre de taille qui débouchent sur les trottoirs de la station, disposition adoptée pour la majeure partie des stations de la ligne.

De la station de Montrouge à celle de Gentilly on tra­verse le souterrain de Montrouge, long de 905 mètres et sur lequel doit être établi le square futur de Montsouris. Cet ouvrage sur lequel passe ainsi le chemin de fer de Sceaux [1], à 22 mètres au-dessus du niveau du chemin de fer de Ceinture, a donné lieu à des travaux considérables et difficiles de consolidation dans les catacombes de Paris. Ces travaux ont présenté d’autant plus de diffi­cultés que la pente du souterrain est de 0,01 centimètre par mètre, ce qui fait pour toute la longueur 9 mètres de dénivellation, et que le sol ferme des catacombes qui se trouve à l’embouchure, vers Auteuil, à 7 mètres environ sous la voie, reparaît à l’embouchure opposée, à 5 mètres au-dessus de la même voie. Des travaux de grande im­portance ont donc dû être faits pour la solidité de cet ouvrage, dont l’aérage est assuré par deux puits inclinés prenant naissance au sommet de la voûte et débouchant à l’air libre sur le plateau même de Montsouris. On peut juger de la nature du sol en sortant du souterrain de Montrouge par les voûtes ajourées qui bordent la tran­chée d’Arcueil et dont le vide permet d’apercevoir les diverses couches du rocher dans lequel cette tranchée a dû être creusée.

La tranchée du parc Montsouris en 1867
La tranchée du parc Montsouris en 1867
Vue de la tranchée du parc Montsouris et de l’actuelle rue Liard. Au premier plan, le pont de la rue Gazan.

À peine sous le pont-aqueduc qui amène à Paris les eaux d’Arcueil, les seules qui autrefois alimentaient ce quar­tier, et on arrive à la rue de la Glacière [2], traversée sous un nouveau tunnel, dont la voûte supporte la station de Gentilly.

En quittant cette station et après une nouvelle tran­chée on aperçoit la vallée de la Bièvre, penchée sur un remblai de 8 mètres et deux viaducs en maçonnerie, puis on entre dans une tranchée nouvelle que sillonnent de nouveaux ponts pour le passage de la rue du Bel-Air [3], du Moulin-de-la-Pointe et du boulevard d’Italie qui tra­verse la ligne sur un nouveau tunnel et en bordure du­quel est construite la station de Maison-Blanche, — à che­val comme les précédentes sur la voie ferrée.

De là, entre deux murailles de figure variable qu’ont déterminées des difficultés spéciales, on passe sous la route de Choisy, sous celle d’Ivry, et enfin sous un nouveau souterrain de 202 mètres de longueur, entière­ment bâti comme celui de Montrouge sur le sol dange­reux des carrières ; puis on débouche dans la tranchée du Chamaillard, d’où le spectateur aperçoit le panorama de Vincennes, de la Seine et des campagnes d’Ivry.

À partir de ce point commence un remblai considé­rable, sur la plate-forme duquel est construite la station d’Orléans-Ceinture, laquelle amènera la communication future des deux lignes de fer.

Une travée métallique de 16 mètres de portée franchit la rue Jeanne d’Arc [4] ; une autre bien plus importante, de 45 mètres, sans appui intermédiaire, enjambe les huit voies de la ligne d’Orléans et la route qui les longe ; — puis le remblai se continue sans interruption jusqu’au pont Napoléon [5], construit il a déjà quelques années pour le passage du chemin de Ceinture (rive droite) et son raccordement avec la gare principale du chemin de fer d’Orléans [6].

Le chemin de fer de Ceinture (rive gauche) présente, au point de vue de la construction, des ouvrages de tout genre et de toute espèce. D’Auteuil à Bercy, sur 12 kilomètres environ de parcours, on compte effectivement :

  • 3 grands souterrains,
  • 3 tunnels,
  • 3 viaducs,
  • 19 ponts en pierre sur ou sous la voie,
  • 7 travées en fer,
  • 5 passerelles en charpente,
  • 8 stations de divers genres, sans parler des autres ouvrages accessoires.

Il n’y a pour ainsi dire pas un seul point où des tra­vaux exceptionnels n’aient dû être entrepris. Pour ne citer qu’une section, celle de Montrouge à Bercy, dont la longueur est de 4,900 mètres, on y rencontre 1,470 mètres de longueur couverts par des voûtes ou passant sur des viaducs, 1,000 mètres de grands remblais, 2,400 mètres de grandes tranchées, 1,860 mètres de murs de soutènement. Sur la longueur de 4,900 mètres, 2,200 mè­tres, c’est-à-dire près de moitié, a dû être l’objet de con­solidations dans les carrières ; et ces consolidations à elles seules ont exigé 26,400 mètres cubes de maçon­nerie.

La Poterne des Peupliers en 1867
La Poterne des Peupliers en 1867
La poterne des Peupliers au-dessus du bras Ouest de la Bièvre. Au fond, le boulevard Kellermann.

Les travaux, vus du chemin de fer, quelque consi­dérables que le spectateur puisse les juger à simple vue, n’ont offert en effet qu’une portion secondaire des difficultés qu’il a fallu vaincre pour la construction de cette ligne. Ceux qu’on n’aperçoit pas offrent un grand intérêt et piqueraient à coup sûr la légitime curiosité de ceux qui pourraient, en descendant par les portes ména­gées de distance en distance dans les murs de soutène­ment, pénétrer dans les galeries souterraines qu’on a dû créer de toutes pièces pour consolider et maintenir les ouvrages apparents.

En effet, au-dessous du sol de Paris, surtout de la rive gauche, et à des profondeurs souvent considéra­bles, se développe et grandit une industrie locale, celle des champignonnistes, et l’on se doute peu, en parcourant les quartiers de Montrouge et de Gentilly, que dans les entrailles du sol se cultive, croît et se récolte une masse énorme des champignons qui se voient dans les marchés de la Capitale.

Rien pourtant n’est plus propre à faciliter la culture de ces végétaux que l’obscurité et la température tou­jours égale et humide que l’on rencontre dans les vides considérables résultant de l’exploitation successive, par les carriers du voisinage, du banc calcaire de bonne qua­lité que l’on employait jadis aux constructions civiles, alors que les voies de communication ne permettaient pas comme aujourd’hui de recourir à de meilleurs maté­riaux et à des localités plus éloignées. Ces vides ont donc servi de refuge aux champignonnistes.

Mais comme ils ont été abandonnés pour la plupart à eux-mêmes depuis de longues années, sans travaux de consolidation suffisants et pour ainsi dire sans surveil­lance, ils ont subi, par suite de la pression du terrain supérieur, des déchirures et des déformations sensibles. Il est donc dangereux, sinon de circuler temporairement dans les méandres de ces galeries, au moins d’en trou­bler l’équilibre d’une manière aussi radicale que l’on s’est vu obligé à le faire pour les travaux du chemin de fer de Ceinture, dont les exigences conduisaient forcément à passer tantôt au-dessus, tantôt au-dessous, tantôt même au milieu de ces cavités peu connues et peu faciles à dé­terminer nettement.

Le pont de la rue de l'Interne Loeb au-dessus de la Bièvre en 1867
Le pont de la rue de l’Interne Loeb au-dessus de la Bièvre en 1867
Le pont au-dessus du bras Est de la Bièvre, à la hauteur de l’actuelle rue de l’Interne Loeb.

Partout où le sol ferme n’était pas trop profond, il a fallu le chercher pour y asseoir les fondations des ou­vrages vus ; mais dans les points, et ils sont nombreux, où cette profondeur trop considérable eût entraîné a des dépenses non justifiées et à un retard incalculable, on a creusé préalablement et par parties, sous chaque ouvrage projeté, des galeries régulières qui ont permis de s’assu­rer de la manière la plus exacte, de la qualité du terrain. De chaque côté de ces galeries on a créé des murs épais pour soutenir le ciel des excavations et, entre ces murs, sur toute la longueur de la voie, on a consolidé l’assiette de la plate-forme destinée à recevoir les rails, soit par de nouvelles maçonneries, soit par des terres fortement drainées. On a ménagé aussi tout le long des murs et de chaque côté du chemin une sorte de rue, parfois voûtée, qui permet d’examiner, de réparer, en cas de besoin, et qui assure par des agencements conve­nablement combinés, tous les services auxquels donnent lieu les catacombes parisiennes. Ce que nous venons de dire montre que sur une grande partie du parcours du chemin de fer de Ceinture, au-dessous des ouvrages vus, existe un véritable réseau de rues et galeries souter­raines correspondant le plus souvent aux rues traversées par la ligne elle-même, et l’on peut se faire une idée, par la difficulté des travaux apparents, de ce que les au­tres ont dû offrir d’imprévu et de dangers.

Il s’est présenté en effet, dans ces ouvrages spéciaux d’exploration, non-seulement des eaux de suintement fort gênantes pour les ouvriers, mais encore des fontis très-fréquents résultant des brisures du ciel des galeries, surtout lorsque ces galeries, mal soutenues, se réunis­saient pour former des carrefours spacieux. On a décou­vert un grand nombre de ces points dangereux ; on a même rencontré des cloches dont la hauteur allait jus­qu’à 7 et 8 mètres et dont le moindre attouchement dé­tachait le sommet.

Des précautions toutes spéciales ont dû être employées pour consolider sans accident ces endroits périlleux, et on y est heureusement parvenu.

Aujourd’hui tout ce travail délicat, pénible et vérita­blement utile du chemin de fer de Ceinture (Rive Gauche) est achevé. Il a duré quatre années, et c’est peu si l’on envi­sage les difficultés et les sujétions de toute nature chaque jour rencontrées, et on peut le dire aujourd’hui, heureu­sement vaincues.

Depuis le 25 février et pour quelques centimes, on peut en moins d’une heure et demie faire le tour de Paris. C’est une excursion facile, intéressante, peu dispendieuse, et surtout à l’approche de l’Exposition uni­verselle, ce sera un grand bienfait pour la population de pouvoir s’y rendre à bon marché, sans fatigue et sans perte de temps.

L’avantage du réseau ne sera pas moindre pour le transit des marchandises. Relié comme il l’est déjà, ou comme il ne saurait manquer de l’être prochainement à toutes les gares principales de nos voies ferrées, il don­nera le moyen d’éviter l’opération si laborieuse et si coûteuse surtout du transbordement. Un wagon chargé à Brest parviendra directement à Lille, à Marseille, et nos grandes voies parisiennes ne pourront qu’y gagner au point de vue de l’aspect, de la commodité et de l’encom­brement, en même temps que le commerce général y trouvera un allégement incontestable dans les faux frais qui grèvent encore le prix des transports, au grand pré­judice de la consommation et du bien-être général.

Léo De Bernard.

 Notes

  • [1] L’actuelle station « Cité Universitaire » de la ligne B du RER,
  • [2] L’actuelle rue de l’Amiral Mouchez,
  • [3] L’actuelle rue Damesme,
  • [4] L’actuelle rue de Patay,
  • [5] L’actuel pont National,
  • [6] La gare d’Austerlitz.

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