Obstacles topographiques à une High Line sur la Petite Ceinture
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Obstacles topographiques à une High Line sur la Petite Ceinture
Savez-vous pourquoi des aménagements similaires à ceux de la High Line de New York ne sont toujours pas réalisés sur la Petite Ceinture, alors qu’ils sont régulièrement évoqués depuis la fin des années 1990, notamment lors d’élections municipales ?
Dans cette série d’article, nous vous en donnons les raisons.
À présent que la Ville de Paris a ouvert des promenades, particulièrement pendant la mandature 2014-2020, nous disposons d’un retour d’expérience suffisant pour tirer un bilan de ces ouvertures. Nous pouvons ainsi comprendre pourquoi un aménagement similaire à celui de la High Line ne peut être réalisé sur la Petite Ceinture dans le contexte actuel. Nous distinguons trois types d’obstacles à ce projet : des contraintes juridiques, topographiques et économiques.
Après avoir étudié dans un précédent article les contraintes juridiques, nous abordons dans cet article les contraintes topographiques.
Pour visualiser les différentes sections de la Petite Ceinture et les promenades ouvertes par la Ville de Paris, vous pouvez utiliser notre carte interactive disponible sur ce site.
La Petite Ceinture est beaucoup plus longue
Pour commencer cette étude, observons que les 23 kilomètres de la Petite Ceinture nord, est et sud, représentent à eux seuls une longueur bien plus importante que celles de la High Line, du Bloomingdale Trail et de la Coulée Verte René Dumont. Si nous classons leurs longueurs respectives par ordre croissant, nous obtenons :
- High Line : 2,3 kilomètres,
- Bloomingdale Trail : 4,3 kilomètres,
- Coulée Verte René Dumont : 4,5 kilomètres,
- Petite Ceinture nord, est et sud : 23 kilomètres.
La longueur de la Petite Ceinture nord, est et sud, représente donc dix fois celle de la High Line et environ cinq fois les longueurs respectives du Bloomingdale Trail et de la Coulée Verte René Dumont.
Cette différence est encore plus importante en ajoutant les deux sections de la ligne d’Auteuil aménagées en promenade dans le 16e arrondissement (Sentier Nature - 1,42 km) et le 17e arrondissement (0,7 km) à la Petite Ceinture nord, est et sud, ce qui donne une longueur totale d’environ 25 kilomètres.
Par conséquent, un projet d’aménagement de promenades ou de pistes cyclables sur la Petite Ceinture nécessite de traiter une longueur bien plus importante qu’à New York. En particulier, le nombre d’accès à créer risque également d’y être plus élevé.
Un tel projet rencontre une seconde difficulté : à la différence de la High Line, dont le nom, « Ligne Haute » en Français, traduit le fait qu’elle est située en hauteur et à l’air libre, la Petite Ceinture comporte de nombreux et longs tunnels. C’est ce que nous allons voir à présent.
La Petite Ceinture comporte des tunnels
La High Line de New York et le Bloomingdale Trail de Chicago ne sont pas au niveau de la rue, puisqu’elles sont aménagées sur des infrastructures ferroviaires aériennes : un viaduc métallique à New York et un remblai à Chicago.
Tout comme ces deux infrastructures, la Petite Ceinture comporte des sections en hauteur. Mais elle comporte en plus des sections en tranchées (encore appelées en déblai) et en tunnel.
Des tunnels nombreux et longs
Sur les 23 kilomètres sud, est et nord de la Petite Ceinture, nous comptabilisons onze tunnels totalisant une longueur de 6,9 kilomètres, soit environ 30% du linéaire. Voici la liste de ces tunnels que nous avons établie :
Nom du tunnel | Section | Arrondissement(s) | Longueur |
---|---|---|---|
Vaugirard | sud | 15e | 331 m |
Broussais | sud | 15e et 14e | 715 m |
Montrouge | sud | 14e | 904 m |
La Glacière-Gentilly | sud | 13e | 500 m |
Maison-Blanche | sud | 13e | 230 m |
Ivry | sud | 13e | 600m |
Charonne - Sorbier – Ménilmontant | est | 20e | 1360 m |
Belleville | est | 19e | 1124 m |
Manin | est | 19e | 110 m |
Saint-Ouen | nord | 17e | 521 m |
Épinettes | nord | 17e | 525 m |
Nous tirons ces chiffres du profil en long de la Petite Ceinture en 1915, visible ci-dessous, où les rectangles noirs représentent les tunnels, et de mesures réalisées sur Google Maps pour les tunnels construits depuis 1915 par la couverture d’anciennes sections en tranchée.
Le classement de ces onze tunnels en fonction de leur longueur est le suivant :
- Seulement deux tunnels ont une longueur inférieure à 300 mètres :
- Un tunnel possède une longueur comprise entre 100 et 200 mètres,
- Un tunnel possède une longueur comprise entre 200 et 300 mètres ;
- La majorité des tunnels a donc une longueur supérieure à 300 mètres :
- Six tunnels possèdent une longueur comprise entre 300 et 800 mètres,
- Trois tunnels possèdent une longueur supérieure à 800 mètres (plus exactement, comprise entre 904 et 1360 mètres).
La Coulée Verte René Dumont comporte également des tunnels, mais ceux-ci sont seulement au nombre de quatre et de surcroît beaucoup plus courts que ceux de la Petite Ceinture : [1]
- Le tunnel passant sous la rue de Reuilly mesure 134 m,
- Le tunnel passant sous la rue de Picpus mesure 56 m,
- Le tunnel passant sous le boulevard de Picpus mesure 54 m,
- Le tunnel passant sous le boulevard Soult mesure de 53 m.
Ainsi, dix tunnels de la Petite Ceinture sont plus longs que ceux de la Coulée Verte René Dumont.
Difficulté supplémentaire, la majorité de ces tunnels ne possède pas d’entrée proche du niveau de la voirie. Ils sont le plus souvent encadrés de tranchées profondes, visibles sur la carte interactive dressée en 2017 par l’APUR (choisir la catégorie « accès et topographie »). Le cas le plus extrême est représenté par la section reliant la place de Rungis, dans le 13e arrondissement, à la rue Olivier de Serres, dans le 15e arrondissement, qui est constituée de tunnels et de tranchées sur plus de 4 kilomètres.
La raison de la présence de ces tunnels est facile à comprendre. Parcourant le tour de Paris, la Petite Ceinture franchit successivement les différents éléments du relief parisien : vallées, plaines et collines. Cette topographie rend la Petite Ceinture unique à Paris car ses paysages et son horizon, dus à sa nature ferroviaire, offrent des perspectives inattendues et attractives sur la ville.
Le film suivant, qui montre des images d’un parcours en train à vapeur de la Petite Ceinture au début des années 1990, permet de découvrir sa topographie et les points de vue qu’elle offre sur la ville.
Des tunnels séparant les sections aménageables
La présence des tunnels sépare trois secteurs à l’air libre :
- Un secteur nord-est, dans les 18e et 19e arrondissements,
- Un secteur sud-est, dans les 20e et 12e arrondissement,
- Un secteur sud-ouest, dans le 15e arrondissement.
Hormis ces trois secteurs, de courtes sections sont à l’air libre dans le 20e arrondissement (Ménilmontant), dans le 13e arrondissement (poterne des Peupliers), dans le 14e, (entre la rue Didot et la porte d’Orléans) et dans le 15e (le long du parc Georges Brassens).
Outre la présence de tunnels, la seconde difficulté pour réaliser des aménagements de promenades est que sur les 23 kilomètres sud, est et nord de la Petite Ceinture, la plate-forme est rarement accessible de plain-pied. C’est ce que nous allons étudier à présent.
La Petite Ceinture est rarement au niveau des rues
L’APUR a recensé en 2017 les sections suivantes (en jaune sur la carte) :
- Le long du boulevard Ney sous les voies de la gare de Paris-Nord, sur une longueur de 150 m environ. Mais cette section a été couverte dans le cadre de l’opération d’urbanisme Chapelle-International et est donc désormais en grande partie en tunnel ;
- Autour de la porte d’Aubervilliers sur 700 m ;
- Entre la rue Manin et la rue Petit, à l’emplacement de l’ancienne station Belleville-Villette, sur 100 m ;
- À Ménilmontant, sur 240 m, où la Ville de Paris a déjà aménagé une promenade ;
- Entre les voies de la gare de Paris-Lyon et l’avenue de France, en passant sur le pont National, soit une longueur d’environ 900 m,
- À la Poterne des Peupliers, sur 300 m, où la Ville de Paris a déjà aménagé une promenade.
Nous pouvons ajouter à ces sites la Villa du Bel-Air et la rue des Meuniers, où des accès à la promenade ouverte dans le 12e arrondissement ont été aménagés, ainsi que le 1 rue Florian dans le 20e arrondissement.
Cependant, ces sections ne représentent qu’une longueur totale de 2,3 kilomètres environ, soit 10% des 23 kilomètres nord, est et sud. Autrement dit, 90% de la longueur de la Petite Ceinture n’est pas accessible de plain-pied.
Les obstacles induits par la topographie de la Petite Ceinture
Les caractéristiques des tunnels (longueur et répartition) et le fait que la Petite Ceinture est rarement située au niveau de la voirie posent des problèmes d’accessibilité et de sécurité des tunnels pour l’ouverture au public.
Problèmes d’accessibilité
Comme la plate-forme de la Petite Ceinture est rarement située au niveau de la voirie, la rendre accessible aux piétons et aux cyclistes nécessite de construire des escaliers, des ascenseurs ou des rampes.
Pour les cyclistes et les personnes en fauteuil roulant, les rampes doivent être suffisamment longues pour traiter une différence de niveau de 8 à 10 mètres tout en conservant une faible pente. Les rampes ci-dessous, installées à Chicago, sont longues d’environ 60 mètres.
La réalisation d’une telle rampe sur un talus consomme une surface végétalisée relativement importante et augmente le coût de l’aménagement.
Par ailleurs, l’installation d’ascenseurs génère des coûts de maintenance relativement importants. Par exemple, la maintenance des quatre ascenseurs installés sur la promenade du 15e arrondissement coûtait 40 000 Euros par an en 2015, soit 10 000 Euros par ascenseur et par an.
Problèmes de sécurité des tunnels
D’après nos mesures, sur les promenades ouvertes aujourd’hui par la Ville de Paris, la distance maximale entre un accès et un point d’une promenade est inférieure à 430 mètres.
Dans un tunnel de plus de 900 m de long, cette règle ne peut pas être appliquée. Or il y a trois tunnels dans ce cas sur la Petite Ceinture.
Dans un tunnel moins long mais encadré de tranchées profondes, il faudrait créer des accès traitant un dénivelé important. Ce qui laisse le choix entre augmenter les délais d’intervention des secours ou créer des accès plus coûteux que la plupart des accès réalisés ces dernières années par la Ville de Paris sur la Petite Ceinture.
Par ailleurs, l’ouverture de l’ensemble des tunnels à la promenade nécessite la mise en place d’un éclairage électrique sur environ 7 kilomètres, ce qui augmente encore les coûts d’aménagement et de maintenance.
Conclusion
La Petite Ceinture est beaucoup plus longue (23 kilomètres nord, est et sud) que la High Line de New York (x10) et le Bloomingdale Trail de Chicago (x5).
La présence de tunnels sur environ 7 kilomètres isole les sections à l’air libre les unes des autres.
Par ailleurs, comme ces tunnels sont pour la plupart difficilement accessibles depuis la voirie, la question des conditions d’intervention des secours en cas d’accident de personne y est posée.
Par conséquent, l’existence de ces tunnels rend difficile l’aménagement d’une promenade continue sur les 23 kilomètres nord, est et sud de la Petite Ceinture.
D’une manière générale, la Petite Ceinture ferroviaire est un grand ouvrage d’art, comme le note dans son introduction l’étude de l’APUR de novembre 2015. Construite en zone urbaine dense, son infrastructure a été conçue ou remodelée au XIXe siècle pour ne pas traverser à niveau le réseau viaire parisien. Par exemple, entre 1887 et 1889, les derniers passages à niveau existant sur les sections nord et est ont été supprimés, afin d’intensifier le service urbain de voyageurs à l’approche de l’Exposition Universelle de 1889.
Cette configuration rend nécessaire la création d’accès (escaliers, rampes) à la plate-forme de la Petite Ceinture depuis la voirie. Mais la création de ces accès augmente le coût de l’aménagement. La difficulté est de réussir à obtenir un coût d’aménagement relativement faible en évitant d’avoir des accès trop distants les uns des autres.
Rappelons qu’à à ces contraintes, dues à la topographie de la Petite Ceinture, s’ajoutent à la nécessité de réaliser des aménagements réversibles et préservant la possibilité de circulations ferroviaires sur une voie, comme nous l’avons vu dans l’article consacré aux contraintes juridiques.
Il résulte des contraintes juridiques et topographiques, que la principale difficulté dans l’établissement d’un modèle économique pour une promenade sur la Petite Ceinture, est de réussir à concilier un coût d’aménagement au kilomètre relativement faible, à cause de la contrainte de réversibilité, avec un traitement satisfaisant de l’accessibilité et de la sécurité.