Des services complémentaires ou concurrents ?

La Petite Ceinture et le Métro (5/5)


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A la fin du XIXe siècle, le Conseil municipal parisien veut éviter la mainmise sur le Métropolitain des compagnies qui exploitent les gares terminus parisiennes et la Petite Ceinture. Par conséquent, il élabore un réseau qui, contrairement aux projets précédents menés par le Gouvernement, est isolé des voies ferrées existantes. Puis, en 1897, il refuse la mise en place d’une coordination tarifaire avec les trains de la Petite Ceinture. De leur côté, les compagnies, étant exclues de l’exploitation du Métropolitain, rejettent désormais l’idée d’intensifier le service circulaire au détriment du transport de marchandises, sauf pour desservir l’Exposition universelle de 1900. Elles refusent par conséquent en 1901 de le faire au moyen de la traction électrique, et préfèrent appliquer une simple optimisation du service avec les moyens existants. Par la suite, le Conseil Municipal demande en vain en 1910 l’électrification de la Petite Ceinture puis, en 1923, l’intégration de la ligne au Métropolitain.

Luigi Loir - Le Chemin de fer Métropolitain (1899)
Luigi Loir - Le Chemin de fer Métropolitain (1899)
Collection de la Galerie Nationale de Prague. Une peinture qui traduit bien l’ambiance de la Petite Ceinture autour de 1900, même si une adaptation par rapport aux installations réelles a pu être appliquée.

 Une ligne métropolitaine à part entière

Au début du XXe siècle, la Petite Ceinture est toujours considérée comme une ligne métropolitaine, comme au temps où il était prévu de l’intégrer au projet de chemin de fer métropolitain, tant de la part de conseillers municipaux [1], des compagnies qui en assurent l’exploitation [2], ou encore de la presse (lire à ce sujet l’article paru en 1904 dans la revue La Science illustrée)

 Le refus municipal d’une coordination tarifaire

Projet de chemin de fer métropolitain de 1894
Projet de chemin de fer métropolitain de 1894
Service du Nord au Nord. 2 trains par heure dans chaque sens.
Le Monde Illustré, n° 1960 du 20 octobre 1894.

Cependant, le Conseil municipal parisien conçoit un projet autonome, afin d’éviter la mainmise des compagnies privées de chemins de fer qui exploitent les gares terminus et la Petite Ceinture sur le chemin de fer métropolitain. Ce refus s’exprime par l’absence de connexions des lignes du Métropolitain avec les lignes existantes ainsi qu’au niveau tarifaire, la Commission du Métropolitain du Conseil municipal écartant en 1897 la mise en place des billets de correspondance avec les trains de la Petite Ceinture. [1]

Dès lors, la conception du réseau longtemps défendue par Jean-Charles Adolphe Alphand, notamment pendant les débats sur le projet de 1890, à savoir intégrer au réseau du Métropolitain plusieurs lignes circulaires, dont la Petite Ceinture serait la ligne extérieure desservant les quartiers périphériques, est abandonnée. [3] Lire notre article sur les projets de chemin de fer de 1886 et 1890 pour plus de détails.

 Le refus des compagnies d’intensifier le service

De leur côté, les compagnies privées de chemin de fer, qui sont associées dans un syndicat pour exploiter la Petite Ceinture, abandonnent le projet d’intensifier de façon pérenne le service circulaire à présent que le Métropolitain est autonome. Cette intensification était en effet comprise dans les projets gouvernementaux, au moyen du transfert des échanges de wagons entre les réseaux des gares terminus parisiennes vers la Grande Ceinture. Seules les dessertes des gares locales de marchandises situées le long de la Petite Ceinture et des embranchements, comme celui des abattoirs de La Villette, auraient été conservées.

Trains stationnant à la gare de Paris-Bestiaux.
Trains stationnant à la gare de Paris-Bestiaux.
Au premier plan, le passage à niveau de l’actuelle avenue Jean-Jaurès, supprimé dans les années 1930.

Les compagnies acceptent cependant d’appliquer un tel transfert pour assurer la desserte ferroviaire de l’Exposition universelle de 1900. Durant l’Exposition, 9 trains à l’heure et par sens sont mis en circulation sur la Petite Ceinture Rive Droite (au Nord et l’Est), contre 10 trains à l’heure et par sens sur la Petite Ceinture Rive Gauche (au Sud). À titre de comparaison, en dehors de l’Exposition, seulement 6 trains à l’heure et par sens sont mis en circulation en semaine et le samedi (travaillé), et jusqu’à 8 trains les dimanches et fêtes avec les trains supplémentaires. Lire notre article sur la desserte voyageurs de l’Exposition universelle de 1900 depuis la Petite Ceinture pour découvrir plus de détails.

Carte des parcours des services urbains et des trains de plaisir desservant l'Exposition de 1900.
Carte des parcours des services urbains et des trains de plaisir desservant l’Exposition de 1900.
Infographie Bruno Bretelle.

Ce refus des compagnies est motivé par des considérations économiques. Pour que l’intensification du service circulaire soit rentable, les recettes doivent augmenter suffisamment pour compenser à la fois le coût des circulations supplémentaires de trains de voyageurs et celui des circulations de wagons de marchandises sur une plus longue distance entre les réseaux des gares terminus parisiennes, quand ces wagons empruntent la Grande Ceinture au lieu de la Petite Ceinture.

La desserte de l’Exposition universelle de 1900 permet d’intensifier le service tout en en étant rentable, grâce à l’accroissement du nombre annuel de voyageurs transportés de 30 à 39 millions. Dans les projets gouvernementaux de 1886, 1890 et 1894 d’un chemin de fer métropolitain, les compagnies espéraient atteindre la rentabilité grâce à l’augmentation de la fréquentation consécutive à l’intégration de la Petite Ceinture au projet.

Un train de marchandises traverse la station Ménilmontant dans les années 1900
Un train de marchandises traverse la station Ménilmontant dans les années 1900
Le train est composé d’un fourgon et de wagons à coke. La locomotive est une 040 T Ceinture. Au fond, le tunnel qui démarre rue de Ménilmontant et passe sous la rue Sorbier. Photographie prise vers 1902.

Le doublement des voies de la Petite Ceinture Rive Droite, au Nord et à l’Est, en utilisant les terrains des fortifications militaires, permettrait d’intensifier le service circulaire sans avoir à transférer une partie du trafic de marchandises vers la Grande Ceinture. [4] Mais ces travaux auraient eux-aussi un coût. D’autant plus qu’il faudrait également doubler les voies à l’Ouest entre les stations Avenue Foch et Auteuil-Boulogne, afin de pouvoir cohabiter avec les trains du service de la ligne d’Auteuil qui circulent à la fréquence de 6 trains à l’heure et par sens. [5] Les voies de la ligne d’Auteuil ont déjà été doublées entre les stations Courcelles-Ceinture et Avenue Henri-Martin lors de la construction de la ligne de Courcelles au Champ-de-Mars, afin de permettre la desserte de l’Exposition universelle de 1900 depuis la gare de Paris-Saint Lazare, la ligne d’Auteuil et la Petite Ceinture. Lire notre article sur la desserte voyageurs de l’Exposition universelle de 1900 depuis la Petite Ceinture et celui sur la ligne de Courcelles au Champ-de-Mars pour plus de détails.

Un train venant de la station Avenue Henri Martin file vers Passy
Un train venant de la station Avenue Henri Martin file vers Passy
De part et d’autre des voies centrales, apparaissent les tunnels du raccordement de Boulainvilliers, aujourd’hui empruntés par la ligne C du RER.

Par ailleurs, au début du XXe siècle, la traction électrique apparaît déjà comme plus avantageuse pour l’exploitation d’un service intensif et rapide de trains légers que la traction vapeur. Par conséquent, le Chemin de fer de Ceinture lance au lendemain de l’Exposition Universelle de 1900 une « Étude de l’application de la traction électrique à l’exploitation de la Petite Ceinture ». [6] Cette application est envisagée sur la section comprise entre les stations Auteuil-Boulogne et Courcelles-Ceinture via le Sud, l’Est et le Nord de Paris. La section Ouest, comprise la entre les stations Courcelles-Ceinture et Auteuil-Boulogne, est exclue de cette étude, car la ligne d’Auteuil est administrativement indépendante de la Petite Ceinture, même si les trains circulaires l’empruntent.

La gare de Grenelle du chemin de fer électrique des Invalides au pied du viaduc d'Auteuil
La gare de Grenelle du chemin de fer électrique des Invalides au pied du viaduc d’Auteuil
Le bâtiment voyageurs a été démoli vers 1960, lors de la démolition du viaduc d’Auteuil et de la construction de l’échangeur routier du pont du Garigliano.
Cliché DR, collection Bruno Bretelle.

Concernant le matériel roulant, le service électrique projeté vise à remplacer la locomotive à vapeur et le fourgon situé derrière elle par une locomotive électrique comportant un fourgon à bagages. Cette locomotive aurait présenté des caractéristiques très proches de celles de la locomotive que la Compagnie de l’Ouest met en service en 1900 sur la ligne des Invalides. Hormis la suppression de ce fourgon, le matériel remorqué est identique à celui de l’exploitation vapeur.

Locomotive électrique de la Compagnie des Chemins de fer de l'Ouest
Locomotive électrique de la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest
Cette locomotive comporte un fourgon, comme le modèle de locomotive envisagé dans le projet de service électrique sur la Petite Ceinture en 1901. Elle circule à partir de 1900, notamment entre la gare des Invalides et Versailles.
Cliché DR, collection Bruno Bretelle.

Dans ce projet, le service serait intensifié jusqu’à un train toutes les 5 minutes, soit 12 trains à l’heure et par sens, aux heures de pointe, au lieu de 6 trains à l’heure et par sens pour le service circulaire en 1901. La vitesse commerciale serait portée à 27 km/h contre 23,9 km/h avec la traction vapeur. Par conséquent, la durée du parcours entre les stations Auteuil-Boulogne et Courcelles-Ceinture par l’Est de Paris serait abaissée de 1h05mn à 57mn30s.

Mais, sur le plan économique, cette étude calcule qu’il faudrait augmenter de 16 millions le nombre annuel de voyageurs transportés, pour 30 millions de voyageurs transportés en 1899, soit une augmentation de plus de 50 %, pour pouvoir compenser les dépenses d’investissements liées à l’électrification. Un tel résultat, sans une intégration au moins tarifaire au Métropolitain municipal, semble impossible à atteindre pour les compagnies qui exploitent la Petite Ceinture. [7]

Locomotive n°60 de la Ceinture
Locomotive n°60 de la Ceinture
Cette série de locomotives est conçue afin d’accélérer le service aux heures creuses (1h10mn pour 32 km) à partir du 1er avril 1903.
Cliché DR, collection Bruno Bretelle.

Par conséquent, elles prennent la décision de maintenir le statu-quo, c’est à dire améliorer le service en ne dépassant pas 8 trains à l’heure et par sens sur la Petite Ceinture Rive Droite et 7 trains à l’heure et par sens sur la Petite Ceinture Rive Gauche. [4]

 Les demandes municipales de 1910 et 1923

En décembre 1910, le Conseil Municipal vote un vœu demandant l’électrification de la Petite Ceinture et des autres lignes dans Paris, afin de supprimer les émissions de vapeurs d’échappement et de fumées dont se plaignent les riverains. [8] Le Chemin de fer de Ceinture répond négativement à cette demande en raison du coût d’un tel projet, comme il l’avait fait en 1901, et du fait que la concurrence du Métropolitain a fait baissé entre 1902 et 1909 de plus de 30 % le nombre des voyageurs transportés par les trains circulaires.

Par contre, le Ministre des Travaux Publics annonce dans sa réponse qu’il est prévu d’électrifier le ligne d’Auteuil dans le cadre d’un programme couvrant les lignes urbaines et de proche banlieue de la gare Saint-Lazare. Ce projet, retardé par la Première guerre mondiale, est finalement réalisé en 1925.

Une automotrice électrique sur les voies de la ligne de Courcelles au Champ-de-Mars en 1928
Une automotrice électrique sur les voies de la ligne de Courcelles au Champ-de-Mars en 1928
L’automotrice vient de passer la station Porte Maillot et se dirige vers le dépôt du Champ-de-Mars. Extrait du film : Études sur Paris.

En 1923, le Conseil Municipal demande d’étudier à nouveau l’incorporation de la Petite Ceinture au réseau des transports parisiens afin d’intensifier et d’accélérer le service circulaire. Cette étude décrit en détail l’exploitation de la ligne à cette époque. Outre les trains de voyageurs du service circulaire, le trafic comprend 63 trains dans chaque sens sur la section nord-est, répartis de la manière suivante :

  • 18 trains de marchandises transitant entre les réseaux des gares terminus parisiennes,
  • 27 trains de marchandises pour la desserte locale,
  • 12 trains de messagerie, poste ou marée,
  • 6 trains de jonction (Bombay-Express, Boulogne-Biarritz, etc.).

Tant la présence de ce trafic, dont une part importante (trains de jonction et trains de messagerie, poste ou marée) ne peut être reportée la nuit, aux heures d’interruption de la circulation des rames de Métro, que la nécessité de gérer le transport des bagages dans les stations de la Petite Ceinture, font aboutir cette étude à la conclusion que « le rattachement de la Petite Ceinture au réseau métropolitain se heurte à des difficultés considérables d’exploitation ». [9]

Une nouvelle fois, l’intensification du service circulaire est bloquée par le partage des voies de la Petite Ceinture entre différents types de trafics.

Une locomotive à vapeur traverse la station La Chapelle-Saint Denis en 1933
Une locomotive à vapeur traverse la station La Chapelle-Saint Denis en 1933
La locomotive 231 F 130 de la Compagnie PLM retourne haut le pied depuis la gare de Paris-Nord vers la gare de Paris-Lyon en empruntant la Petite Ceinture, après avoir tracté un train de jonction entre ces deux gares à l’aller. Cliché : Albert Dubois.
Albert Dubois

 Aller plus loin


[1Renvoi à la Commission du métropolitain d’une proposition de M. Arthur Rozier concernant l’échange de correspondance entre le chemin de fer de Ceinture et le Métropolitain, Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 19 mars 1904.

[2Compagnie du Chemin de fer du Nord, Examen de la note de la Ceinture, en date du 16 octobre 1901, concernant la traction des trains. Centre des Archives du Monde du Travail, série 202 AQ.

[3Alphand Jean-Charles, Le Chemin de fer Métropolitain de Paris, Le Génie Civil, 25 octobre 1890, pages 409-414.

[4Chemins de fer de Ceinture, Ligne de Petite Ceinture. Note sur les améliorations à apporter au régime de la Petite Ceinture en ce qui concerne le transport des voyageurs, 20 janvier 1901. Centre des Archives du Monde du Travail, série 202 AQ.

[5Jacquot André, 130 ans de trains sur la ligne d’Auteuil, éditions de l’Ormet, pages 34 et 42, 1987.

[6Chemins de fer de Ceinture, Ligne de Petite Ceinture, Rapport sur l’application de la traction électrique, 22 janvier 1901. Centre des Archives du Monde du Travail, série 202 AQ.

[7Carrière Bruno, la Saga de la Petite Ceinture, éditions La Vie du Rail, 1991, 2001 et 2017.

[8Question de M. de Puymaigre à M. le Préfet de la Seine en vue d’obtenir, aussitôt que possible, l’électrification des lignes de l’Etat dans l’intérieur de Paris et principalement à la gare des Invalides, Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 7 septembre 1912.

[9Conseil Municipal de Paris, Commission du Métropolitain, Note documentaire relative à l’extension du réseau métropolitain de Paris, Annexe n°7, Rapport de l’inspecteur général adjoint du Métropolitain et du Port de Paris relatif à l’incorporation au réseau des transports parisiens de la voie ferrée de Petite-Ceinture. 1er janvier 1923.


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